L’implantation d’installations d’énergies renouvelables sur les terres agricoles soulève de nombreuses questions juridiques et réglementaires. Entre la nécessité de développer les énergies vertes et celle de préserver les espaces cultivables, le cadre légal doit trouver un équilibre délicat. Cet enjeu majeur de l’aménagement du territoire implique de concilier les impératifs de la transition énergétique avec la protection des terres nourricières. Examinons les principaux aspects de la réglementation encadrant ces projets et les évolutions récentes du droit en la matière.
Le cadre juridique général des énergies renouvelables en zone agricole
L’implantation d’installations d’énergies renouvelables en zone agricole est soumise à un ensemble de règles issues de différentes branches du droit. Le Code de l’urbanisme fixe les conditions d’occupation des sols et encadre les autorisations de construire. Le Code rural régit quant à lui l’usage des terres agricoles et leur préservation. Enfin, le Code de l’environnement impose des études d’impact et des procédures spécifiques pour certains projets.
La loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a posé un principe général de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Elle a notamment renforcé le rôle des Commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) qui doivent être consultées sur tout projet d’installation en zone agricole.
Parallèlement, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 a fixé des objectifs ambitieux de développement des énergies renouvelables. Elle a notamment facilité l’implantation de certaines installations comme les éoliennes ou les centrales photovoltaïques sur des terres agricoles, sous certaines conditions.
Plus récemment, la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 est venue préciser le cadre applicable aux projets agrivoltaïques, en les définissant juridiquement et en fixant des critères de compatibilité avec l’activité agricole.
Ainsi, le cadre légal actuel cherche à concilier deux impératifs : préserver les terres agricoles tout en permettant le développement maîtrisé des énergies renouvelables. Cette recherche d’équilibre se traduit par des règles spécifiques selon les types d’installations.
Les règles applicables aux différents types d’installations
Les conditions d’implantation varient selon la nature des installations d’énergies renouvelables envisagées en zone agricole. Chaque filière est soumise à des règles particulières.
L’éolien terrestre
L’implantation d’éoliennes en zone agricole est encadrée par plusieurs dispositions :
- Une distance minimale de 500 mètres par rapport aux habitations
- Une étude d’impact environnemental obligatoire
- Une autorisation environnementale unique délivrée par le préfet
- La consultation de la CDPENAF
La jurisprudence a précisé que les éoliennes peuvent être autorisées en zone agricole dès lors qu’elles ne compromettent pas l’exploitation agricole. La compatibilité avec l’activité agricole s’apprécie au cas par cas.
Le photovoltaïque au sol
L’implantation de centrales solaires au sol sur des terres agricoles est en principe interdite, sauf exceptions :
- Sur des terrains pollués ou dégradés
- Sur des friches industrielles
- Dans le cadre de projets agrivoltaïques
Les projets agrivoltaïques, associant production d’énergie et activité agricole, sont désormais définis et encadrés par la loi. Ils doivent garantir une synergie avec l’exploitation agricole sans lui porter préjudice.
La méthanisation agricole
Les unités de méthanisation peuvent être autorisées en zone agricole si elles sont nécessaires à l’exploitation agricole. La loi fixe des seuils en termes d’approvisionnement en matières premières agricoles. Au moins 50% des intrants doivent provenir d’exploitations agricoles.
Ces installations sont soumises à la réglementation des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE). Selon leur taille, elles relèvent du régime de la déclaration, de l’enregistrement ou de l’autorisation.
La biomasse
Les centrales de production d’énergie à partir de biomasse peuvent être autorisées en zone agricole si elles sont liées à l’activité agricole. Leur implantation est soumise à permis de construire et éventuellement à autorisation environnementale selon leur puissance.
Ainsi, chaque filière d’énergie renouvelable fait l’objet de règles spécifiques visant à encadrer son développement en zone agricole. Le point commun est la recherche d’une compatibilité avec l’activité agricole existante.
Les procédures d’autorisation et le rôle des différents acteurs
L’implantation d’une installation d’énergie renouvelable en zone agricole nécessite généralement plusieurs autorisations et implique de nombreux acteurs.
Les autorisations requises
Selon la nature et la taille du projet, différentes autorisations peuvent être nécessaires :
- Un permis de construire délivré par le maire ou le préfet
- Une autorisation environnementale unique délivrée par le préfet
- Une autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité
- Une autorisation de défrichement le cas échéant
La procédure d’autorisation environnementale unique, créée en 2017, vise à simplifier les démarches en regroupant plusieurs autorisations. Elle s’applique notamment aux éoliennes, aux grandes centrales solaires et aux unités de méthanisation soumises à autorisation ICPE.
Le rôle des collectivités locales
Les communes et intercommunalités jouent un rôle clé à travers leurs documents d’urbanisme. Le Plan Local d’Urbanisme (PLU) ou le PLU intercommunal définit les zones où peuvent être implantées les installations d’énergies renouvelables. Il peut prévoir des zones spécifiques dédiées à ces installations.
Les collectivités peuvent également porter directement des projets d’énergies renouvelables ou y participer via des sociétés d’économie mixte.
L’intervention des services de l’État
Les services déconcentrés de l’État, notamment les Directions Départementales des Territoires (DDT), instruisent les demandes d’autorisation. Ils vérifient la conformité des projets avec la réglementation et peuvent imposer des prescriptions.
Le préfet joue un rôle central en délivrant les principales autorisations (permis de construire pour les grands projets, autorisation environnementale). Il préside également la CDPENAF qui doit être consultée sur les projets en zone agricole.
La consultation des instances agricoles
Outre la CDPENAF, d’autres instances agricoles sont consultées :
- La Chambre d’agriculture
- L’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) pour les zones d’appellation
- La Commission départementale d’orientation de l’agriculture (CDOA)
Leur avis, bien que consultatif, pèse fortement dans la décision finale d’autorisation ou non du projet.
Ainsi, l’implantation d’énergies renouvelables en zone agricole implique un processus complexe faisant intervenir de nombreux acteurs. La coordination entre ces différentes parties prenantes est essentielle pour aboutir à des projets équilibrés.
Les enjeux de la préservation des terres agricoles
Le développement des énergies renouvelables ne doit pas se faire au détriment de la préservation des terres agricoles, enjeu majeur pour la souveraineté alimentaire et l’environnement.
La lutte contre l’artificialisation des sols
La loi Climat et Résilience de 2021 a fixé un objectif de zéro artificialisation nette des sols d’ici 2050. Cet objectif s’applique aussi aux installations d’énergies renouvelables qui peuvent contribuer à l’artificialisation si elles ne sont pas conçues de manière compatible avec l’activité agricole.
Les projets doivent donc privilégier :
- La réversibilité des installations
- L’utilisation de terrains déjà artificialisés ou dégradés
- La synergie avec l’activité agricole (agrivoltaïsme)
La protection des terres à fort potentiel agronomique
Les meilleures terres agricoles doivent être préservées en priorité. La loi prévoit une protection renforcée pour :
- Les zones agricoles protégées (ZAP)
- Les périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains (PAEN)
- Les aires d’appellation d’origine contrôlée (AOC)
L’implantation d’énergies renouvelables y est soumise à des conditions strictes voire interdite.
La compensation agricole collective
Depuis 2016, les projets de grande ampleur susceptibles d’avoir un impact sur l’économie agricole locale doivent faire l’objet d’une étude préalable et de mesures de compensation collective. Ces mesures visent à consolider l’économie agricole du territoire, par exemple en finançant des projets de diversification ou de transformation.
Ce dispositif s’applique notamment aux grands parcs solaires au sol ou éoliens implantés sur des terres agricoles.
Le maintien de l’activité agricole
Pour être autorisés en zone agricole, les projets d’énergies renouvelables doivent démontrer leur compatibilité avec le maintien d’une activité agricole significative. Cela peut passer par :
- Le pâturage sous les panneaux solaires
- La culture de plantes mellifères entre les éoliennes
- L’utilisation des digestats de méthanisation comme engrais
L’enjeu est de développer de véritables synergies entre production d’énergie et agriculture, plutôt qu’une simple coexistence.
La préservation des terres agricoles face au développement des énergies renouvelables constitue donc un défi majeur. Elle implique de repenser l’aménagement du territoire et de favoriser des modèles innovants comme l’agrivoltaïsme.
Perspectives d’évolution du cadre réglementaire
Le cadre juridique encadrant l’implantation d’énergies renouvelables en zone agricole est en constante évolution pour s’adapter aux enjeux émergents. Plusieurs pistes de réforme sont actuellement à l’étude ou en cours de mise en œuvre.
Vers une planification territoriale renforcée
La loi d’accélération des énergies renouvelables de 2023 prévoit l’élaboration de zones d’accélération des énergies renouvelables par les collectivités locales. Ces zones, intégrées aux documents d’urbanisme, viseront à identifier les secteurs les plus propices au développement des énergies renouvelables, y compris en zone agricole.
Cette planification en amont devrait permettre de mieux concilier les différents usages du foncier et de réduire les conflits.
Un cadre spécifique pour l’agrivoltaïsme
Suite à la définition légale de l’agrivoltaïsme introduite par la loi Climat et Résilience, un décret d’application est attendu pour préciser :
- Les critères de compatibilité avec l’activité agricole
- Les modalités d’évaluation et de suivi des projets
- Le rôle des différentes instances de contrôle
Ce cadre réglementaire spécifique devrait sécuriser juridiquement les projets agrivoltaïques tout en garantissant leur réelle plus-value agricole.
Une simplification des procédures
Dans un objectif d’accélération du déploiement des énergies renouvelables, plusieurs pistes de simplification sont envisagées :
- L’extension du permis environnemental unique à davantage de projets
- La réduction des délais d’instruction
- La limitation des possibilités de recours abusifs
Ces mesures visent à fluidifier les procédures sans pour autant réduire les exigences environnementales et agricoles.
Un renforcement du contrôle et du suivi
En contrepartie des simplifications, un renforcement des contrôles est prévu :
- Mise en place d’un observatoire de l’agrivoltaïsme
- Renforcement des pouvoirs de la CDPENAF
- Suivi dans la durée de l’impact des installations sur l’activité agricole
L’objectif est de s’assurer que les engagements pris lors de l’autorisation des projets sont effectivement tenus sur le long terme.
Une révision des mécanismes de soutien
Les dispositifs de soutien aux énergies renouvelables (tarifs d’achat, compléments de rémunération) pourraient être revus pour mieux prendre en compte les spécificités des projets en zone agricole. Des bonus pourraient être accordés aux projets particulièrement vertueux en termes de synergie avec l’agriculture.
Ces évolutions du cadre réglementaire visent à trouver un meilleur équilibre entre développement des énergies renouvelables et préservation des terres agricoles. Elles s’inscrivent dans une logique d’optimisation de l’usage des sols et de développement de modèles innovants comme l’agrivoltaïsme.
Défis et opportunités pour l’avenir
L’encadrement juridique des installations d’énergies renouvelables en zone agricole continuera d’évoluer pour relever les défis futurs et saisir les nouvelles opportunités qui se présentent.
Concilier transition énergétique et souveraineté alimentaire
Le principal défi sera de trouver le juste équilibre entre le nécessaire développement des énergies renouvelables et la préservation des terres agricoles. Cela impliquera :
- Une planification fine de l’usage des sols à l’échelle des territoires
- Le développement de projets réellement synergiques entre énergie et agriculture
- Une réflexion sur la multifonctionnalité des espaces ruraux
L’enjeu est de sortir d’une logique d’opposition pour aller vers une complémentarité entre production alimentaire et production énergétique.
Favoriser l’innovation et l’expérimentation
Le cadre réglementaire devra s’adapter pour permettre l’émergence de solutions innovantes :
- Nouvelles technologies d’agrivoltaïsme (panneaux mobiles, semi-transparents…)
- Couplage entre différentes énergies renouvelables sur une même exploitation
- Modèles économiques hybrides associant agriculteurs et énergéticiens
Des dispositifs d’expérimentation pourraient être mis en place pour tester ces innovations avant une éventuelle généralisation.
Renforcer l’acceptabilité sociale des projets
Le développement des énergies renouvelables en zone rurale soulève parfois des oppositions locales. Pour y répondre, il faudra :
- Améliorer la concertation en amont des projets
- Favoriser les projets à gouvernance locale (énergie citoyenne)
- Mieux répartir les retombées économiques sur les territoires
L’implication des acteurs locaux, et en premier lieu des agriculteurs, sera clé pour l’acceptabilité des projets.
S’adapter au changement climatique
Le cadre réglementaire devra prendre en compte l’impact du changement climatique sur l’agriculture et l’énergie :
- Adaptation des cultures et des pratiques agricoles
- Évolution des potentiels de production d’énergies renouvelables
- Résilience des installations face aux événements climatiques extrêmes
Les synergies entre agriculture et énergies renouvelables pourraient contribuer à l’adaptation au changement climatique des territoires ruraux.
Vers une approche systémique des transitions
Enfin, la réglementation devra évoluer vers une approche plus intégrée, prenant en compte :
- Les interactions entre transition énergétique, transition agricole et transition écologique
- Les enjeux de l’économie circulaire et des circuits courts
- La dimension sociale et territoriale des projets
Cette approche systémique permettra de maximiser les co-bénéfices entre les différentes transitions en cours.
En définitive, l’encadrement juridique des énergies renouvelables en zone agricole devra continuer à évoluer pour relever ces défis complexes. Il s’agira de construire un cadre à la fois stable et flexible, capable de s’adapter aux innovations technologiques et aux enjeux émergents. L’objectif ultime est de permettre un développement harmonieux des énergies renouvelables, pleinement intégré dans les territoires ruraux et créateur de valeur pour l’agriculture.