La régulation des majorations tarifaires dans l’assurance prêt immobilier pour risque aggravé de santé

Face à la difficulté d’accès au crédit immobilier pour les personnes présentant un risque aggravé de santé, le législateur français a progressivement mis en place un cadre juridique protecteur. Cette protection vise à limiter les pratiques discriminatoires des assureurs qui, par le passé, appliquaient des surprimes prohibitives ou refusaient purement et simplement de couvrir certains profils. L’encadrement des majorations tarifaires constitue aujourd’hui un enjeu majeur de justice sociale, permettant aux personnes malades ou handicapées d’accéder à la propriété dans des conditions financières raisonnables. Ce dispositif s’inscrit dans une évolution constante du droit des assurances, marquée par la recherche d’un équilibre entre gestion actuarielle des risques et droit fondamental au logement.

Fondements juridiques de l’encadrement des surprimes

L’architecture juridique encadrant les majorations tarifaires pour risque aggravé repose sur plusieurs piliers fondamentaux qui se sont construits progressivement depuis les années 1990. Cette évolution témoigne d’une prise de conscience collective des inégalités d’accès au crédit immobilier.

Le droit à l’oubli, consacré initialement par la convention AERAS (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé), puis renforcé par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, constitue la première pierre de cet édifice. Ce dispositif permet aux personnes guéries d’un cancer de ne plus avoir à déclarer leur ancienne pathologie après un certain délai, initialement fixé à 10 ans puis progressivement réduit.

La convention AERAS elle-même, signée en 2006 et régulièrement révisée, représente un accord majeur entre les pouvoirs publics, les associations de malades et les professionnels de la banque et de l’assurance. Elle instaure un mécanisme d’examen approfondi des demandes d’assurance prêt immobilier formulées par des personnes à risque aggravé, selon trois niveaux d’analyse.

Le Code des assurances intègre désormais plusieurs dispositions spécifiques, notamment l’article L.1141-5 qui encadre les conditions dans lesquelles les données de santé peuvent être utilisées pour le calcul des primes. La loi Lemoine du 28 février 2022 est venue renforcer ce dispositif en permettant la résiliation à tout moment des contrats d’assurance emprunteur et en élargissant le droit à l’oubli.

Le Code de la santé publique contient lui aussi des dispositions relatives à la non-discrimination en raison de l’état de santé, complétant ainsi l’arsenal juridique protecteur. Ces textes s’articulent avec les principes fondamentaux de non-discrimination inscrits dans la Constitution française et les conventions internationales ratifiées par la France.

  • Loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 (droit à l’oubli)
  • Convention AERAS révisée en 2019
  • Loi Lemoine du 28 février 2022
  • Articles L.1141-1 à L.1141-7 du Code de la santé publique

L’évolution de ce cadre juridique témoigne d’une volonté constante du législateur de renforcer la protection des emprunteurs vulnérables, tout en préservant l’équilibre économique du système assurantiel français.

Mécanismes de plafonnement des surprimes

Le système français de plafonnement des surprimes pour risque aggravé repose sur des mécanismes sophistiqués visant à garantir l’accès à l’assurance emprunteur tout en tenant compte des réalités actuarielles.

Le mécanisme d’écrêtement constitue la pierre angulaire de ce dispositif. Introduit par la convention AERAS, il prévoit que les surprimes d’assurance ne peuvent dépasser un certain seuil lorsque les revenus des emprunteurs sont modestes. Concrètement, pour les prêts à caractère professionnel ou pour l’acquisition d’une résidence principale, les surprimes sont plafonnées lorsque le revenu ne dépasse pas un certain montant, fixé par référence au plafond annuel de la Sécurité sociale.

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La grille de référence AERAS représente un autre outil fondamental. Mise à jour régulièrement, elle liste les pathologies pour lesquelles les assureurs s’engagent à proposer une assurance à des conditions acceptables. Cette grille précise, pour chaque pathologie répertoriée, les conditions d’accès à l’assurance sans surprime ou avec une surprime plafonnée. Les critères pris en compte incluent l’ancienneté de la pathologie, sa gravité, les traitements suivis et l’état de santé actuel du demandeur.

Le pool des risques très aggravés (3ème niveau de la convention AERAS) permet d’examiner les dossiers les plus complexes, refusés aux deux premiers niveaux d’analyse. Ce mécanisme mutualise les risques entre plusieurs assureurs, permettant ainsi de proposer une couverture à des personnes qui, autrement, n’auraient aucune solution d’assurance.

La commission de médiation AERAS joue un rôle de régulation en intervenant lorsqu’un différend survient entre un assureur et un candidat à l’emprunt. Cette instance peut formuler des recommandations concernant le niveau de surprime appliqué et contribue ainsi à harmoniser les pratiques du secteur.

Le fonds de garantie AERAS finance partiellement les surprimes d’assurance pour les emprunteurs aux revenus modestes. Ce mécanisme de solidarité permet de réduire la charge financière pesant sur les personnes malades ou handicapées souhaitant accéder à la propriété.

Ces différents mécanismes s’articulent pour créer un système cohérent de protection de l’emprunteur, tout en préservant la viabilité économique du secteur de l’assurance emprunteur. Leur efficacité repose sur un équilibre délicat entre mutualisation des risques et individualisation de la tarification.

Exemple de calcul de surprime plafonnée

Pour un emprunteur dont les revenus sont inférieurs à 1,5 fois le PASS (Plafond Annuel de la Sécurité Sociale), la surprime ne peut excéder 1,4 point du taux effectif global (TEG) du prêt. Ainsi, pour un prêt au taux nominal de 1,5%, si la prime d’assurance standard représente 0,3% du capital emprunté, la surprime maximale sera calculée de façon à ce que le surcoût total reste dans la limite fixée par la convention.

Évolution du droit à l’oubli et son impact sur les majorations

Le droit à l’oubli constitue une avancée majeure dans la protection des personnes ayant souffert de pathologies graves. Son évolution progressive illustre la volonté du législateur d’adapter le cadre juridique aux réalités médicales et aux attentes sociales.

Initialement consacré par la convention AERAS en 2011, le droit à l’oubli concernait uniquement les anciens malades du cancer, avec un délai fixé à 15 ans après la fin des traitements. La loi de modernisation du système de santé de 2016 a inscrit ce principe dans le marbre législatif, réduisant le délai à 10 ans. Pour les cancers diagnostiqués avant l’âge de 18 ans, ce délai a été ramené à 5 ans, reconnaissant ainsi la spécificité des cancers pédiatriques.

La loi Lemoine du 28 février 2022 marque un tournant décisif en abaissant le délai général à 5 ans et en élargissant le champ d’application du droit à l’oubli à l’hépatite C. Cette extension témoigne d’une approche plus inclusive, prenant en compte les progrès thérapeutiques réalisés pour certaines pathologies chroniques.

Les avancées médicales influencent directement l’évolution du droit à l’oubli. L’amélioration des taux de guérison et l’allongement de l’espérance de vie des patients atteints de pathologies autrefois considérées comme incurables justifient une révision régulière des délais et du périmètre d’application. Les travaux du Comité scientifique AERAS contribuent à cette adaptation continue, en évaluant régulièrement les données épidémiologiques et les résultats des traitements innovants.

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L’impact économique du droit à l’oubli sur les contrats d’assurance emprunteur est significatif. En dispensant les anciens malades de déclarer leurs antécédents médicaux, ce dispositif leur permet d’accéder à une assurance au tarif standard, sans surprime. Cette neutralisation des majorations tarifaires représente un gain financier considérable pour les personnes concernées, pouvant atteindre plusieurs milliers d’euros sur la durée totale d’un prêt immobilier.

  • Réduction du délai général de 10 à 5 ans (loi Lemoine)
  • Inclusion de l’hépatite C dans le périmètre du droit à l’oubli
  • Maintien du délai spécifique de 5 ans pour les cancers pédiatriques

Les perspectives d’évolution du droit à l’oubli sont prometteuses. Les associations de patients militent pour son extension à d’autres pathologies chroniques stabilisées, comme le VIH, le diabète ou certaines maladies auto-immunes. Le législateur semble réceptif à ces demandes, comme en témoigne l’inclusion récente de l’hépatite C. Cette dynamique pourrait conduire, à terme, à une refonte plus profonde du système d’évaluation des risques en assurance emprunteur.

Contentieux et jurisprudence relatifs aux surprimes abusives

Le contentieux relatif aux majorations tarifaires pour risque aggravé de santé s’est considérablement développé ces dernières années, témoignant d’une vigilance accrue des emprunteurs face aux pratiques des assureurs. L’analyse de la jurisprudence permet de dégager plusieurs tendances significatives.

La Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts structurants concernant l’obligation d’information des assureurs. Dans un arrêt marquant du 4 février 2016 (Cass. 2e civ., n°15-13850), la haute juridiction a considéré que l’assureur qui applique une surprime doit motiver précisément sa décision et informer l’assuré des voies de recours disponibles, notamment dans le cadre de la convention AERAS. Cette exigence de transparence constitue une protection procédurale fondamentale pour les emprunteurs.

Les juridictions du fond ont développé une jurisprudence nuancée concernant la proportionnalité des surprimes. Plusieurs tribunaux ont invalidé des majorations jugées disproportionnées au regard du risque réel présenté par l’emprunteur. Ainsi, le Tribunal de Grande Instance de Paris, dans un jugement du 17 mars 2018, a considéré qu’une surprime de 300% appliquée à un ancien patient cancéreux en rémission depuis 8 ans était manifestement excessive et constituait une discrimination indirecte.

La question du secret médical dans le processus d’évaluation du risque fait l’objet d’un contentieux spécifique. La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a sanctionné plusieurs assureurs pour collecte excessive de données médicales, rappelant que seules les informations strictement nécessaires à l’évaluation du risque peuvent être demandées. Cette position a été confortée par la Cour européenne des droits de l’homme qui, dans l’arrêt M.S. contre Suède du 27 août 1997, a posé les bases d’une protection renforcée des données de santé.

Les recours devant la commission de médiation AERAS constituent une alternative au contentieux judiciaire. Les statistiques montrent une augmentation constante des saisines, avec un taux de résolution amiable d’environ 60%. Les recommandations de cette instance contribuent à façonner les pratiques du secteur, même si elles ne sont pas juridiquement contraignantes.

La question des discriminations indirectes émerge comme un axe majeur du contentieux futur. Plusieurs affaires pendantes devant la Cour de justice de l’Union européenne interrogent la compatibilité des systèmes nationaux d’assurance emprunteur avec le principe de non-discrimination inscrit dans la Charte des droits fondamentaux. L’issue de ces procédures pourrait conduire à une refonte profonde des mécanismes de tarification du risque dans l’ensemble des États membres.

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Cas emblématique : l’affaire Konstantinidis

L’affaire Konstantinidis c. France, portée devant la Cour européenne des droits de l’homme en 2020, illustre les enjeux du contentieux actuel. Le requérant, séropositif au VIH mais avec une charge virale indétectable depuis plus de 10 ans, contestait l’application d’une surprime de 250% pour son assurance emprunteur. Bien que l’affaire ait été réglée par un accord amiable avant le prononcé de l’arrêt, elle a contribué à mettre en lumière le décalage entre les connaissances médicales actuelles sur certaines pathologies et les pratiques tarifaires des assureurs.

Perspectives d’évolution et défis pour l’accès universel à l’assurance prêt

L’avenir de l’encadrement des majorations pour risque aggravé se dessine à travers plusieurs tendances de fond qui transformeront probablement en profondeur le marché de l’assurance emprunteur dans les prochaines années.

Les innovations technologiques dans le domaine de la santé ouvrent de nouvelles perspectives pour l’évaluation individualisée des risques. L’utilisation de la médecine prédictive, des objets connectés et de l’intelligence artificielle pourrait permettre une tarification plus fine et plus juste des contrats d’assurance. Toutefois, ces avancées soulèvent d’importantes questions éthiques et juridiques concernant la protection des données personnelles et le risque de nouvelles formes de discrimination.

Le droit européen exerce une influence croissante sur les réglementations nationales en matière d’assurance. Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) encadre strictement l’utilisation des données de santé par les assureurs. Par ailleurs, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne tend à renforcer l’interdiction des discriminations fondées sur l’état de santé, ce qui pourrait conduire à une harmonisation des pratiques au niveau continental.

Les modèles alternatifs de mutualisation des risques se développent parallèlement au système traditionnel. Des initiatives comme les assurances affinitaires pour certaines pathologies ou les fonds de garantie sectoriels proposent des approches novatrices pour couvrir les personnes présentant un risque aggravé. Ces solutions complémentaires pourraient enrichir le paysage de l’assurance emprunteur et offrir de nouvelles options aux emprunteurs.

La pression sociétale en faveur d’une plus grande inclusivité constitue un moteur puissant d’évolution. Les associations de patients, les organisations de consommateurs et les militants pour l’égalité des droits exercent une influence croissante sur le législateur et les professionnels du secteur. Cette mobilisation contribue à faire évoluer les mentalités et les pratiques vers une meilleure prise en compte des situations individuelles.

Les défis à relever restent nombreux. L’équilibre entre individualisation et mutualisation des risques demeure une question centrale. Une individualisation excessive pourrait conduire à exclure certaines populations, tandis qu’une mutualisation trop large pourrait fragiliser l’équilibre économique du système. La transparence des algorithmes utilisés pour évaluer les risques constitue un autre enjeu majeur, alors que ces outils deviennent de plus en plus complexes et opaques.

  • Développement de la médecine prédictive et personnalisée
  • Influence croissante du droit européen
  • Émergence de modèles alternatifs de couverture

La recherche d’un modèle économique viable pour l’assurance des risques aggravés représente un défi persistant. Les assureurs doivent concilier leurs impératifs de rentabilité avec leur responsabilité sociale, dans un contexte où les attentes des consommateurs et les exigences réglementaires évoluent rapidement. Cette tension structurelle nécessitera probablement des innovations tant dans les produits proposés que dans les mécanismes de financement et de régulation.

Vers une refonte du système AERAS ?

Plusieurs voix s’élèvent pour réclamer une refonte profonde du système AERAS, jugé trop complexe et insuffisamment protecteur dans certaines situations. Les propositions incluent la création d’un fonds de garantie universel alimenté par une contribution obligatoire sur tous les contrats d’assurance, ainsi que l’établissement d’un droit opposable à l’assurance pour les prêts destinés à l’acquisition d’une résidence principale.